dimanche 29 novembre 2009

Pour le meilleur ou le pire : Bordeaux

Le bordelais, c'est la plus grande région de vins fins au monde. On parle d'une exploitation de type semi-industrielle : on produit 7 millions d'hectolitres de vin par année et sur cette production 95 % des vins sont en appellation d'origine contrôlée (AOC). Je vous balance d'autres chiffres en vrac : 121 500 hectares de vignes, 57 AOC en tout, 3 000 châteaux (environ 200 classés), 13 500 exploitants.

Des classements, vous dites? Oh que oui : outre le fameux classement des crus du Médoc de 1855, y a bien sûr celui de Saint-Émilion révisé aux dix ans et dont le plus récent remonte à 2006, celui des vins de Graves qui remonte à 1959, le classement des crus bourgeois du Médoc (créé en 1932) dont le plus récent de 2003 a été contesté et renversé (depuis le millésime 2007, la mention "cru bourgeois" est frappée d'interdiction) et enfin le classement des crus artisans du Médoc (créé en 1994 pour les vignobles de moins de 6 hectares).

Le bordelais produit surtout du rouge, mais le quart de la production est quand même consacrée aux blancs. Au nord de Bordeaux se trouve la Gironde. Ce fleuve est un grand régulateur de température qui contribue à réduire les risques de gelée. À l'est, il y a l'influence de l'Atlantique sur le climat (hivers doux, étés chauds), mais aussi la proximité des forêts qui bloque les vents marins salés et joue sur la circulation de l'air.

Différents types de sols sont présents, certains sont graveleux et profonds, d'autres lourds et argileux et enfin d'autres où prédominent le calcaire. De façon générale, on trouve plus d'argile sur la rive droite de la Gironde et de la Dordogne, ce qui fait que les sols sont plus froids et le merlot à maturité plus précoce s'y plaît bien comme à Saint-Émilion, tandis que les sols plus graveleux de la rive gauche de la Garonne sont plus chauds (les graves emmagasinent la chaleur et la redonne à la vigne) et plus propices au cabernet-sauvignon au mûrissement plus tardif.

Les principaux cépages les plus typiques du bordelais sont, pour le rouge, les deux cabernets (le sauvignon et le franc), le merlot et le petit verdot, et, pour le blanc, le sauvignon, le sémillon et la muscadelle. Les vins du bordelais sont donc des vins issus de multiples cépages que l'on associe selon la nature du sol, les conditions climatiques du millésime et le type de produit visé.

Bon maintenant que la table est mise, on commence la tournée du vignoble. Au nord-est de Bordeaux, le Médoc, qui compte 8 appellations, et dans la zone appelée Haut-Médoc, plus précisément sur 4 communes, se trouvent les 60 châteaux classés de 1855. Ce classement antérieur à la création des AOC avait pour but de fournir une indication sur la qualité des vins. On attribuait alors une valeur au domaine et non à la vigne. C'est donc un classement dont on peut discuter "en théorie" les vertus aujourd'hui, mais en pratique, dans la majorité des cas, personne ne conteste vraiment la hiérarchie des vins médocains : 4 premiers crus, sous lesquels on a des deuxièmes, troisièmes, quatrièmes et cinquièmes crus.

Bon allez, je vous nomme les "Big four" mais ne comptez pas sur moi pour des listes exhaustives ici : dans la commune de Pauillac, nous avons le château Lafite Rothschild, le château Latour et le château Mouton Rothschild, et, dans la commune de Margaux, le château du même nom, Margaux.

Au sein du Haut-Médoc, les 6 secteurs géographiques qui ont été déterminés pour la qualité de leur production et qui portent la mention d'appellation dite communale sont Margaux, Moulis, Listrac, Saint-Julien, Pauillac (la capitale du Médoc) et Saint-Estèphe, Moulis et Listrac étant les moins prestigieuses because aucun cru classé, seulement des crus bourgeois. Les grands amateurs de Bordeaux se plaîront généralement à vous décrire en long et en large ce qui distingue un Margaux, d'un Saint-Julien, d'un Pauillac ou d'un Saint-Estèphe. Mais dans les faits, c'est pas si simple que ça de les distinguer à coup sûr. On dit des vins de Margaux qu'ils sont les plus élégants, ceux de Saint-Julien les plus fins, ceux de Pauillac les plus puissants et ceux de Saint-Estèphe les plus robustes. Bof... ces généralités sont ce qu'elles sont... un exercice cérébral sans plus. J'ai bu de belles réussites dans toutes ces communes et je vous dirais que le secret, du moins à une certaine époque (est-ce encore vrai???), pour apprécier au mieux tous ces vins, c'était de les oublier, tout simplement et de les faire vieillir tranquille dans un coin de cave ou dans un garde-robe.

Anecdote... fin des années 1990, un certain soir d'août, on s'étaient réunis chez des amis qui avaient un tout petit chalet bien modeste dans les Laurentides, où l'on voulait observer les perséides dans la soirée. Le repas avait commencé par les vins apportés par tout le monde et puis une fois le party bien engagé et arrosé notre hôtesse (pas très friande des vins rouges) se rappela qu'elle avait quelques bouteilles oubliées au fond de l'armoire de cuisine juste au-dessous de l'évier. Y avait là un petit vin rouge bien modeste de rien du tout de la région de Graves qui datait de 1982 si je me rappelle bien (avant même que Pessac-Léognan n'existe comme appellation) qu'elle avait oublié là, comme ça, depuis dix ans. On s'exclaffait tous à l'idée de boire un vin conservé dans d'aussi piètres conditions (chaleur et froid extrêmes). On s'attendait vraiment à rien, seulement un vin de soif. Et ben il nous a suffit d'une petite gorgée pour se rendre compte qu'on avait affaire à quelque chose d'exceptionnel dans notre verre, un pur nectar, un trésor oublié. On s'est tous battu pour boire jusqu'à la dernière goutte de ce vin de rien du tout devenu tout à coup grandiose à nos yeux et on en a parlé pendant des années par la suite. Surtout qu'on avait vu filer pas mal d'étoiles ce soir-là...

Bon, j'enchaîne avec les vins de Graves. Cette appellation, qui produit des rouges comme des blancs, se trouve autour de Bordeaux et au sud-ouest de cette ville. Le nom de Graves provient de la nature des sols (on est sur des graviers). Dans la partie septentrionale de l'appellation, on trouve surtout des vins rouge (les sols sont plus graveleux et chauds) et plus au sud les sols deviennent argilo-calcaires et dont plus favorables aux vins blancs. L'appellation assimilée communale Pessac-Léognan, créée en 1987, se trouve justement dans la partie septentrionale des Graves. Elle regroupe 10 communes, immédiatement à l'ouest de Bordeaux. Tous les châteaux classés se trouvent dans cette zone. On trouve donc selon le château des crus classés en blanc et en rouge. Le cabernet-sauvignon domine pour le rouge et le sauvignon pour le blanc. Le top des tops : le château Haut Brion qui à l'origine figurait dans le classement du Médoc de 1855. Je vous nommerai pas les 16 autres, mais si je vous dis château Pape-Clément, château Smith Haut Lafitte, château Carbonnieux, ça devrait vous suffire.

Plus au sud, toujours dans les Graves, se trouve des vignobles les vins blancs liquoreux les plus réputés de la planète : Sauternes et Barsac. Ces vins onctueux de longue garde à base de sémillon bénéficient de conditions climatiques particulières : la proximité du fleuve et son affluent le Ciron favorise à l'automne la formation de brouillards matinaux nécessaire au développement du champignon Botritys cinerea. Les raisins "attaqués" par cette pourriture noble sont récoltés en surmaturité par tries successives. Les jus extraits de ces raisins "rôtis" sont extrêmement concentrés et riches en sucres. Encore là, les vins sont classés depuis 1855 et le top des tops c'est bien sûr le château d'Yquem. Je suis allée une fois dans ce château en 1995, et j'avais l'impression d'être dans une église, un monastère, une cathédrale, bref dans un lieu de culte, celui du raisin. D'autres grands noms : château Suduiraut, château Climens, château Guiraud... vous irez voir par vous-même le classement si ça vous intéresse.

La dernière région dont je veux parler ici est celle du Libournais, sur la rive droite de la Dordogne. Les deux grandes appellations sont Saint-Émilion et Pomerol. Le cépage dominant est le merlot que l'on complète surtout avec du cabernet franc et, dans une moindre mesure, avec du cabernet sauvignon (qui n'aime pas trop les sols humides et frais de cette région). Il y a une grande diversité des sols à Saint-Émilion. Pour simplifier, disons qu'il y a des graves, des sables, des marnes et des calcaires. Et pour compliquer les choses, on a un plateau riche en calcaire et en argile autour de la ville de Saint-Émilion, des pentes avec plus ou moins de calcaire, de sable ou d'argile et la plaine avec des sols de gravier et de sable. C'est sur sols graveleux et argileux contigus à Pomerol qu'on trouve les châteaux Cheval Blanc et Figeac. Pour le reste des grands crus classés, certains se trouvent sur le plateau (Ausone, Bélair), mais la plupart sont issus d'un assemblage de vin de coteau (finesse et subtilité) et de vin de plateau (corps et profondeur).

Les deux tops châteaux du classement, soit les deux Premiers grands crus dits de catégorie A sont Ausone et Cheval Blanc. Les 13 autres châteaux classés Premiers grands crus dits de catégorie B comptent dans leurs rangs Angélus, Bélair et Canon. Et puis, pour le reste du classement de 2006, sachez qu'il existe aussi 46 grands crus classés.

L'autre appellation prestigieuse du Libournais est Pomerol avec son fameux Pétrus (98 % merlot) que tout le monde connaît de nom, mais que personne n'a jamais bu! En tout cas, pas dans mon cercle d'amis. En définitive, je crois qu'il vaut mieux rêver toute sa vie de boire un jour un de ces grands vins mythiques et de ne jamais y parvenir, car sait-on jamais, on serait peut-être ben déçu (tsé le genre de mine déconfite : "ah wan, c'est ça un Pétrus?"). Bon là je me mets à déconner c'est donc dire que mon baratin achève. Non, il n'y a pas de classement "officiel" pour les vins de Pomerol (et c'est tant mieux!), même si officieusement une certaine hiérarchie existe. Parmi les gros canons, mentionnons les châteaux l'Évangile, Lafleur, la Fleur Pétrus et la Conseillante.

Voilà qui termine ma tournée du bordelais. Vous m'excuserez d'avoir passé sous silence un paquet d'autres appellations, sans compter les vins de garage (des micro-cuvées). Y a toujours Wikipédia si ça vous intéresse d'y aller plus à fond. Et puis, je vous dirais qu'il faudra suivre au cours des prochaines années le sort qui sera réservé aux crus bourgeois du Médoc (une des sagas du Bordelais). Que voulez-vous, quand y a de gros sous en jeu, c'est sûr qu'y a de grosses chicanes!

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