samedi 6 février 2010

La chimie du goût : mariage, séparation ou divorce?

Le fascinant monde des interactions gustatives est divisé en deux types :
- les interactions simultanées : les saveurs de base interagissent l'une sur l'autre;
- les interactions successives : la perception des saveurs varie selon leur succession.

Interractions simultanées
  • l'amer est moins bien perçu s'il y a du sel (imaginez du sel dans un café ou dans une bière);
  • l'addition d'un peu d'acide à une solution salée augmente la perception du salé (jus de citron sur des huîtres);
  • l'addition de sel diminue la perception de l'acidité (lorsque vous salez un jus de tomate);
  • l'addition de sucre diminue la perception de l'acide (lorsque vous sucrez un jus de tomate);
  • ainsi, les goûts sucrés et les goûts acides se masquent (seule l'intensité est diminuée);
  • de même, les goûts sucrés et les goûts amers se masquent;
  • si vous ajoutez du sel à un mélange sucré-amer, vous diminuerez la perception de l'amer et augmenterez celle du sucre.

Interractions successives

  • si vous mangez un bonbon (sucré) avant une pomme (acide), votre pomme vous semblera encore plus acide;
  • si vous mangez un fruit (acide) avant un bonbon (sucré), votre bonbon vous semblera plus sucré;
  • si vous mangez un pamplemoussse (amer) avant de boire de l'eau, l'eau vous semblera plus sucrée;
  • même chose si vous mangez un artichaut (amer) avant de boire de l'eau, l'eau vous semblera plus sucrée.

Exemples d'interférences des aliments :

Viande - augmente le seuil des sensations sucrées et acides, mais diminue le seuil des goûts salés et amers.

Salade verte - diminue le seuil des sensations sucrées et acides, mais augmente le seuil des goûts salés et amers.

Fromage ou citron - perturbe la sensibilité des 4 goûts (sucré, salé, acide, amer).

Pas étonnant alors que l'appréciation d'un vin varie énormément selon qu'on le boit avant ou pendant le repas et selon l'ordre des plats qu'il accompagne.

Quand on choisit un ordre logique de présentation des vins, il faut tenir compte de quelques effets de contraste : un vin blanc sec paraît plus acide après un vin doux et un vin rouge tannique paraît plus ferme après un vin rouge souple. Toute dégustation digne de ce nom repose sur un judicieux classement des vins. À Bordeaux, par exemple, lors des dégustations professionnelles, on goûte les vins rouges en premier, des plus légers aux plus corsés. On continue par les vins blancs secs, et on termine par les vins doux dans l'ordre des taux de sucre.

Sur les 4 goûts élémentaires, 1 seul est agréable : le goût sucré. Les autres sensations à l'état pur sont déplaisantes et ne sont supportées que si elles sont équilibrées. Pour nous faire la démonstration, Pascal nous a fait déguster lors de différents exercices des solutions à base d'acide tartrique, d'acide lactique et d'acide malique, une solution à base de caféine, et une autre contenant de la saccharose.

Pour qu'un vin paraisse harmonieux, il est indispensable que l'intensité des goûts sucrés équilibre les intensités des saveurs acides, amères et astringentes.

Que dire maintenant des aliments et des vins. Principe de base : les solides de par leur texture et leur richesse en éléments qui tapissent le palais communiquent des sensations gustatives qui perdurent plus longtemps que les liquides. On peut déguster le vin avant le plat et le terminer après celui-ci. Mais si on déguste ensemble le vin et le plat, il y a deux façons de déguster : le plat puis le vin (le vin modifie le plat), ou le vin puis le plat (le plat modifie le vin). En fonction de l'ordre, on n'aura pas les mêmes réactions ou du moins pas de la même puissance.

En guise de pratique, Pascal nous a fait déguster deux excellents vins blancs, dont un vin jaune et un liquoreux, et deux superbes vins rouges, que nous avions à déguster avec une série de condiments et d'aliments (pomme verte, citron, pamplemousse, endive, fromage de chèvre, fromage "vieux comté", saucisson à l'ail, sucre, sel et j'en oublie). Pour chaque vin, on dégustait d'abord le vin, puis ensuite on faisait se succéder en bouche aliment ou condiment et vin. Ce soir-là mon voisin de table s'est éclaté sur un accord vin-mets qu'il ne connaissait pas (il travaille en restauration) : après une bouchée de citron et une gorgée du Côteaux du Layon, il déclinait tous les desserts inimaginables à base de citron qu'il pourrait éventuellement servir avec un liquoreux.

Il y a bien sûr des alliances classiques. En France, les accords vins et les plats se déclinent surtout par région : un époisses et un marc de Bourgogne, un Vieux Comté et un vin jaune du Jura, un crotin de Chavignol et un Sancerre dans la Loire, un coq au vin et un Chambertin, agneau et Pauillac, huîtres et Muscadet.

Il y aussi les mariages classiques dictés par le goût : l'acidité d'un plat à laquelle on associe celle d'un vin, les arômes d'un plat qu'on marie à ceux du vin, une sauce onctueuse qu'on accompagne volontiers d'un vin charnu et opulent, et si elle est foncée, de préférence d'un vin rouge soutenu; quoi de mieux avec l'iode des coquillages qu'un vin blanc minéral; les gibiers s'entendent bien avec les vins rouges épicés et viandés (Syrah du Rhône Nord, par exemple) et enfin les vins liquoreux avec le dessert, ou pour un effet de contraste, avec un fromage bleu.

En contrepartie, y a des désaccords (divorces) qu'il faut à tout prix éviter : de façon générale, vin rouge et fromage, poisson et vin rouge (à moins d'un rouge léger comme un Saumur-Champigny), viande rouge et vin blanc (tiens, j'ai jamais tenté l'expérience... faudrait essayer avec un blanc boisé), champagne brut et dessert, vin doux (sucre résiduel) et sauce aigre-douce (ouash!).

Si on veut faire des accords de contraste ou d'opposition, au lieu de servir la poularde à la crème avec un vin blanc riche et onctueux qui mettra en évidence la richesse de la sauce, on peut jouer avec un blanc sec et vif qui s'opposera à la crème et mettra en valeur la nervosité. Quand on sert l'huître avec du Muscadet, on se trouve à opposer le gras de celle-ci avec l'acidité de celui-là. Si on sert le steak au poivre avec un vin rouge structuré, tannique et puissant, on fait ressortir le côté poivré, alors que si on choisit comme compagnon un vin rouge léger de type gamay (Beaujolais), on va adoucir l'ensemble.

Bref, les contraires s'attirent et les accords se réalisent en équilibrant les oppositions par la médiation d'un tiers (sinon c'est la séparation et le divorce!). Un plat avec une sauce crémeuse peut faire frétiller un vin blanc sec et minéral (la crème allonge le vin). C'est un des grands secrets de la cusine : ce sont davantage la garniture, la crème et la sauce qui permettent l'harmonie, pas la viande ou le poisson comme tel. Il faut également s'amuser à jouer avec les textures.

Il y a aussi ce qu'on appelle des catalyseurs d'alliance. Ce sont souvent des aromates qui déclenchent et accélèrent les réactions gustatives. Encore là, on peut privilégier des catalyseurs qui vont dans le même sens que le vin : civet au romarin avec vin du Languedoc, chocolat au beurre de noisette avec porto blanc, salade de fruits de mer au pamplemousse avec un Sancerre, cacao et Banyuls, noix et vin jaune.

D'autres catalyseurs peuvent créer une réaction de surprise (un parfum peut en révéler un autre) :

  • le safran augmente les notes florales des vins blancs et les notes fruitées des vins rouges;
  • l'ail fait ressortir le côté truffe d'un Cahors;
  • le citron joue sur le fruité des vins.

Un mot sur la cuisson : la chaleur augmente les perceptions et elle modifie les saveurs, pour le meilleur ou le pire (le café bouillu est foutu, le poivre cuit est moins fort que le poivre cru). Par ailleurs, les parfums élémentaires sont dégradés par la cuisson (sous l'effet de la chaleur, les composants se mêlent, s'influencent, se renforcent ou s'annihilent).

En matière d'accords, il importe de retenir que le sucre d'un plat augmente la perception acide d'un vin; que l'acidité élevée d'un plat va abaisser celle du vin qui paraîtra plus gras, et inversement, qu'un vin très acide servi sur un plat gras va donner une apparence plus légère au plat; qu'un plat amer va accentuer l'amer du vin (mais que par contre l'acidité et le sel peuvent atténuer cette amertume); et enfin, les tanins s'adoucissent sur le gras.

En conclusion, la chimie du goût repose sur quelques grands principes, mais y a pas de règle précise à suivre. Il faut voir cela comme un grand terrain de jeu où on peut s'amuser en toute liberté. Place à l'improvisation, avec ce qu'on a sous la main. On peut moduler des accords à l'infini. François Chartier avec son livre Papilles et molécules nous ouvre en quelque sorte de nouvelles pistes et je compte bien en explorer quelques-unes au cours de la prochaine année.

Si vous avez envie de me suivre dans ce modeste blog, je vous reviens très bientôt avec deux volets qui vont se chevaucher au fil des semaines : les vins des États-Unis et les vins d'Italie.

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